La nature n’est pas un décor et les choses de la nature ne sont pas des objets, mais des évènements où se manifeste « le passage de la nature ». Notre regard, notre présence et notre corps sont pleinement engagés dans ces évènements. Une œuvre d’art est aussi un de ces évènements reliés à tous les autres. Elle ne peut être solitaire.
Selon la légende, le calligraphe, Kobodaishi avait poussé son art si loin qu’il était capable d’inscrire des idéogrammes à la surface de l’eau. Ils s’y maintenaient un instant, immobiles, puis le courant de la rivière les emportait comme des feuilles d’érable.
Emmanuel Fillot lit l’espace du côté de la poésie.
A l’origine, un paragraphe de Borges, un livre de Cendrars ou un haïku, le nom d’un lieu, un mot, un territoire, un vers, une musicienne…
Pierres, bois, sable, plumes, os, formes de l’existant, cueillis, glanés, cherchés ou trouvés, sont parfois comme chez Socrate, « matière à doute ». Ses “appareillages”, qui peuvent appeler parfois une écriture, des sons, un chant, instruments précis de l’éphémère – le temps paresseux s’étire, semble n’être que la mémoire éclatée de l’espace-, saisissent sa splendide et permanente fragilité.
A sa perception longuement affinée de la nature, arbres, plantes, oiseaux, insectes, rivières, galets, à sa fine réceptivité à des « appels de beauté », déserts, phares, tours, cotes, à sa fascination pour la géologie, pour l’astrologie, pour le chamanisme, il s’allie une ignorance recherchée de tout concept. On dirait qu’il est dans une constante tentation, celle de poser sur le monde « le regard d’une perle à l’intérieur d’une huitre. »
Le monde, se touche, se goute, se renifle, se voit et s’entend, se met en rêve et en poésie. Dans son art comme dans la vie, Emmanuel Fillot choisit les manifestations du réel qui s’opposent et résistent, qui absolvent la réalité.
Artiste, voyageur repenti, il enseigne la poétique de l’objet.
À l’oreille
Pour aller plus loin :
À la technique, Isabelle Carrère